DIOGANE, CE BOUT DU SENEGAL OU TOUT SE FAIT SANS L’ETAT

Sans eau, ni électrité, Diogane, village Sérère perdu au beau milieu des Îles du Saloum est plongé dans une grande souffrance. Dans cet autre bout du Sénégal, tout se fait sans l’Etat. 

Situé au cœur des îles du Saloum entre Fallia, Thialal, Bassar, Moundé et Siwo,  Diogane est un village qui se rattache administrativement à la commune de Bassoul. L’appellation de ce village renseigne largement sur son passé historique et sur sa population. Dans le passé, nous dit-on, Diogane était un puits situé près de Fallia et où des «Lamantins» venaient s’abreuver. Selon certaines informations, les pêcheurs venaient les guetter sur ce lieu et au fil du temps, ils ont fini par s’installer sur place. 

Le nom Diogane étant d’ailleurs un mot Sérère qui signifie «Là-bas». Cette appellation était donnée à ce lieu pour  repérer le puits qui a fini par donner le nom du village. Mais pour d’autres, «Diogane» vient du mot Sérère «Diohane» (qui signifie là-bas), parce que disent-ils, «à l’époque, des habitants de Niodior allaient cultiver et récolter dans la zone. Car la terre était fertile et quand d’autres habitants de Niodior voulaient découvrir le lieu et demandaient sa localisation, on leur répondait ‘Diohane’ qui a donné ‘Diogane’, par déformation.  La première personne à y habiter serait une femme qui s’appellerait Ama Coumba Fodé, tandis que d’autres disent que c’est Youngard Diouf qui a été la première à habiter Diogane. Elles y aurait été suivie par des habitants de Ndiodior, des Guélewars venus du rouyaume du Gabou. 

Le village compte aujourd’hui plus de 2.000 âmes  essentiellement des «Niominkas», des pêcheurs Sérères. L’activité principale des femmes reste la pêche des huîtres et autres produits halieutiques. Comme tous les autres atolls de la région, Diogane n’échappe pas à la règle des 22 îles que composent les îles du Saloum. 

La vie dépend de la montée de l’eau et de la chaleur

Coupés du reste du monde par la mer et le bras de mer, les habitants de ces localités sont, en effet, «oubliés», privés d’eau et d’électricité. Ici, la survie dépend de la montée de la mer et de la chaleur. 

«Vérité en deçà des Pyrènes, erreur  au-delà». Cet adage a toute sa signification dans le vécu quotidien des insulaires. Si en terre ferme, les gens se plaignent de la montée de l’eau, dans les îles c’est le contraire. On prie que l’eau monte pour que la navigation soit rapide et stable. Et le réchauffement climatique n’est pas la politique de cette population qui vit grâce à la chaleur du soleil, pour le bien-être et le fonctionnement des panneaux solaires qui alimentent les forages et les foyers. 

A Diogane, la seule activité des femmes reste la pêche des huîtres et des autres produits de mer vendus à bas prix sur le marché. Les populations n’ont pas d’eau. Le seul forage de la localité est tombé en panne depuis 2000. Et pendant 15 ans, les insulaires vivent le martyr. Paradoxe ! Même s’ils sont entourés d’eau, la population souffre le martyr pour trouver le liquide précieux. Et trouver de l’électricité dans ces îles devient un véritable parcours du combattant, parce que dépendant de la chaleur. Devant un micro, les populations les femmes notamment se lâchent et font un exposé de leur quotidien dans l’espoir de trouver un «sauveur». 

«Nous avons beaucoup de difficultés. Nous travaillons dans la mer, mais on n’a pas de pirogues et notre seule activité c’est la pêche. Les pirogues que nous utilisons ne sont pas motorisées. Nous pagayons tous les jours et nous parcourons plus de 30 km avec des pirogues artisanales sans moteur. Nous naviguons donc avec la pagaille et nous sommes entourés d’eau, mais paradoxalement, notre principale souci c’est l’eau», nous dit Mariama Sarr, une habitante de Diogane.


3 mois sans électricité, faute de soleil

Selon cette dame, ce sont les problèmes liés à la mobilité qui favorises les difficiles conditions de vie. «Le ‘Courrier’ (Ndlr : La pirogue qui fait la navette entre les îles et les autres villes) ne vient que les lundis et les jeudis. Pour aller au marché hebdomadaire de Sokone, nous sommes obligées de quitter le mardi pour passer la nuit à Sokone et ne revenir que le surlendemain. Et quand la marée est basse, nous restons coincés dans l’eau pendant plusieurs heures attendant la marée haute», confie cette mère de famille d’une cinquantaine d’années. 

«Et le pire dans ça, renchérit Mariama Sarr, c’est que pour évacuer un malade, il vous faut au moins 30 litres d’essence, soit environ 15.000 francs Cfa. Si vous n’avez pas les moyens, votre malade va mourir en cours de route». «Nous avons des difficultés liées à l’eau et à l’électricité. Quand il n’y a pas de soleil, il n’y a pas d’électricité. Cette année, on est resté pendant 3 mois sans électricité, parce qu’il y avait pas de soleil, donc pas de chaleur. Et l’eau n’en parlons pas. Le forage ne marche plus, nous stockons l’eau de pluie dans des citernes et c’est cette eau que nous buvons toute l’année. La vie est dure ici», se lamente la dame sur un ton désespéré. 


A les en croire, leur stock d’eau est presque épuisé et la seule alternative est de boire l’eau salée en attendant l’arrivée de la saison des pluies. «Il y a une usine de désalinisation de l’eau de mer en eau douce. Mais notre bourse ne nous permet pas d’acheter cette eau constamment. Car elle est hors de prix pour nous autres pauvres villageois», explique Mme Sarr qui appelle les autorités étatiques à faire un effort à l’endroit des insulaires. 


125 francs le bidon d'eau douce, un prix hors de portée des villageois

Lui emboîtant le pas, Khady Ndong souligne : «Notre principal problème, c’est l’eau et d’électricité. On nous promet de l’eau, mais on ne sait pas quand est-ce que cela va arriver. Le forage est en panne depuis des années. Nous consommons de l’eau de la pluie, et à cette période nos réserves sont épuisées et le puits est loin d’ici. Il faut parcourir des kilomètres dans la forêt de Fallia ou prendre une charrette et payer 100 francs Cfa pour avoir la bouteille de 20 litres d’eau. Or, nous n’avons pas les moyens». 

«Ici, on nous vend le bidon de l’eau douce à 125 francs Cfa, mais la vérité c’est que nous  sommes tellement pauvres qu’on n’a pas les moyens de l’acheter. Si vous achetez les deux bidons de 20 litres avec nos grandes familles, avant même le soir, cette eau est épuisée. Or, notre revenu nous le tirons du commerce des huîtres et autres fruits de mer et cela ne peut pas couvrir tout ça. C’est dur pour nous. Nous voulons de l’eau, de l’électricité et des moyens de transport adaptés à notre environnement», lâche-t-elle. 

Le cas de Adama Ndong est plus malheureux. Selon cette mer de famille, cela fait plus de 3 ans qu’elle n’a pas l’énergie solaire faute de moyens. «J’ai des enfants mais ils ne sont pas là. Je vis seule avec ma mère et je n’ai pas les moyens d’acheter de l’eau douce. D’ailleurs, mes maigres revenus ne me permettent même pas de payer le transport de l’eau de puits, puisque qu’il faut aller la chercher loin. Donc, je suis obligé de puiser de l’eau de puits dans des bassines et de la porter sur ma tête sur cette longue distance. Ma vie dans les îles rime avec souffrance», lâche, anéanti, Adama Ndong. 

Et la bonne dame de conclure : «On souffre terriblement et nous ne recevons l’aide de personne, ni de l’Etat, ni des politiques. C’est comme si on ne faisait pas partie de ce pays. On n’a vraiment l’impression qu’on ne fait pas partie du Sénégal».  

A dire vrai, les populations vivent de véritables calvaires. Diogane n’a, en effet, pas d’infrastructures de base, ni d’infrastructures sanitaires dignes de ce nom. Le dispensaire de la localité est entièrement financé et équipé par les populations. Il n'y a aucune trace de l’Etat dans ce «monde» des Sérères où les populations sont coincés entre la souffrance de trouver de l’eau sous le chaud soleil de la matinée pour faire fonctionner le forage et éclairer leurs concessions dans les nuit paisibles sous la brise de la mer qui souffle dans l’île. 

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